Pour la première fois depuis le début de ce printemps désastreux, j’ai senti dans cette soirée une douceur estivale. Presque lourde. Et remarqué qu’enfin, il faisait encore jour quand je suis sortie du ciné. En arrivant chez moi, envie de rester dans la fiction. J’allume le poste, où se joue Etreintes brisées, d’Almodovar. Coïncidence : je sors d’un film espagnol, En 80 jours, et je retrouve un film espagnol. L’un est tourné à San Sebastian, au Pays basque, l’autre en partie à Lanzarote, une île que j’ai explorée l’an passé en randonnée. C’est avant tout pour y retrouver des paysages que j’ai envie de revoir ce mélo.
Quelques recherches plus tard, je découvre dans le dossier de presse que le nœud du film est une photographie prise par le cinéaste sur la plage d’El Golfo. Lors de sa première visite sur l’île volcanique (qui a aussi inspiré une nouvelle étonnante de Michel Houellebecq), Almodovar a immortalisé cette plage de sable noir sans remarquer le couple enlacé qui figurait en bas de l’image. Il ne le découvrit que sur le tirage et décida que cette étreinte renfermait un secret. Il a cherché ce couple en vain jusqu’à la fin de son séjour, imaginé leur histoire. A défaut de la raconter, il décida de faire de Lanzarote un décor. Mais jamais l’île ne trouvait sa place dans les scénarios qu’il imaginait. Jusqu’à Etreintes brisés, sorti en 2009, une année où, moi aussi, j’étais en morceaux. Dans le film, la photo donc, est punaisée dans le bungalow où se réfugient Mateo et Lena, les amoureux en cavale, sur la plage de Famara.
Je me souviens avoir arpenté les falaises de Famara, face à l’île de la Graciosa. Un moment de grâce gravé dans mon cortex, sauvage et beau. Dans le film vu ce soir au Festival Désir…désirs, les deux femmes septuagénaires rejouent leur baiser de jeunesse sur l’îlot de Santa Clara, dans la baie de San Sebastian. En 80 jours ou pas, à chacun ses tours du monde.
Photo : La plage d’El Golfo… sans le couple enlacé. Caché derrière le rocher ? © Catherine Levesque