Le port d’un ciré jaune à Nantes, aussi nécessaire soit-il ces jours-ci, est suspicieux pour l’autochtone. On vous détecte très vite dans les rues détrempées et l’on vous assimile à un Parisien déguisé. Le gars à la vareuse délavée et aux cheveux gras qui fait la queue devant vous à Talensac, c’est bien simple, il ne vous calcule même pas. La poissonnière, elle, avec sa voix de poissonnière, elle vous lance : « La dame en jaune, là, elle voudra bien avancer, elle sera mignonne. »
Je désigne du doigt l’araignée encore vivante et les six huîtres de Noirmoutier, les plus petites s’il vous plaît. Le muscadet des Génaudières est déjà au frais. Max m’expliquera plus tard qu’on ne cuit pas une femelle araignée comme un mâle. Qu’on met le gros sel dans le faitout uniquement quand l’eau bout, sans quoi il retardera la cuisson. Fille de la région, je l’ignorais. Nathie, elle, ne préfère pas savoir, cache ses yeux derrière ses doigts comme les enfants devant un film qui fait peur. La pauvre bête va mourir ébouillantée, c’est horrible. Une heure après, elle la charcute avec son bistouri marin. Que voulez-vous, la mémoire est sélective et la chair des crustacés n’est pas triste, hélas.
Sur les étals des maraîchers, des pommes de terre nouvelles, des fraises, des asperges et du muguet. J’en achète dix brins. Je sais qu’il s’agit d’une culture intensive assez discutable mais la tradition l’emporte sur la raison. Appliqué à d’autres pratiques, ce réflexe donne des trucs pas terribles…
Un stock de crêpes et de pain bio, puis je m’en retourne dans mon ciré jaune. La tour Bretagne est toujours aussi démodée et je m’engage devant l’église réformée vers la rue de la Bastille, un peu vide. M’en fous, j’ai faim et mes paniers sont pleins.