« Si vous êtes ici, c’est que vous avez des intérêts un peu exotiques ! », a ironisé Michel Rocard au cours de la conférence qu’il a donnée le jeudi 31 octobre au Festival international du film ornithologique de Ménigoute devant un large public, tout ouï. Ambassadeur en charge des négociations internationales sur les pôles depuis 2009, l’ancien Premier ministre avait été invité dans le cadre des 5es Rencontre culturelles du cinéma animalier.
Bon pied bon œil, Michel Rocard, 83 ans, s’est livré pendant plus d’une heure à une passionnante présentation des enjeux géopolitiques et environnementaux en Arctique, abordant avec autant d’aisance les questions de kayak et de haut débit.
« Nos deux pôles n’ont en commun que le froid », a-t-il rappelé en préambule, rappelant que le pôle Nord se situe à 3 200 m sous l’eau, où est plantée une maquette en titane du drapeau russe ! « L’Arctique n’a que de l’eau, c’est un océan relativement fermé autour duquel se répartissent en cercle cinq Etats limitrophes. »
Si la gestion commune de l’Antarctique inhabité – à laquelle Michel Rocard a contribué – ne pose guère de problèmes dans ce tragique XXIe siècle, les choses sont loin d’être acquises pour l’Arctique, où vivent 4 millions d’individus en Arctique, dont 400 000 autochtones.
Des exilés climatiques
Or, en septembre dernier, on n’avait jamais vu la banquise si petite : 3 millions de km2, le minimum absolu. En trente ans, elle aurait ainsi perdu plus de la moitié de sa superficie. Le réchauffement climatique affecte aussi le permafrost (pergélisol en français). « Dans certaines zones, le sol est très argileux et devient mou, a expliqué Michel Rocard. Ce qui est dur dessus s’enfonce… Nous avons déjà des exilés climatiques mais ils restent pour l’heure à l’intérieur des pays concernés. »
Ce réchauffement affecte aussi la faune et la flore (cf. la conférence de Stéphane Hergueta qui a suivi) et les courants marins comme le Gulf Stream. On peut désormais circuler et pêcher dans les zones libérées l’été par la glace, même si les techniques ne sont pas encore adaptées. En outre, nous n’avons pas les données scientifiques nécessaires sur les stocks de poissons. Selon l’ancien ministre, une organisation régionale de pêche s’impose donc sur ces questions. D’ici trente ans, la moitié du commerce mondial pourrait y transiter !
Un Moyen Orient glacial
Autre inquiétude, ces eaux ou terres glaciales abritent 30 % des réserves mondiales de gaz, 13 % des réserves de pétroles et 20 % des réserves de gaz liquide. « Contrairement à la convention de Wellington, qui interdit toute activité sur l’Antarctique, il n’y a pas l’ombre d’un accord entre pays riverains sur la manière dont on peut exploiter cette manne », s’inquiète Michel Rocard. « Les techniques d’exploitation du pétrole dans ces régions ne sont pas assez sûres et une marée noire en Arctique serait encore plus catastrophique qu’en zone tempérée. »
Créé en 1996, le Conseil de l’Arctique où Michel Rocard représente la France, ne siège que « deux heures par an suivies d’un bon banquet ! ». Dans cette instance bizarre, qui est pourtant passée en quelques années « du syndic de propriété des riverains à un conseil d’usagers potentiels », il semblerait que l’on s’exprime surtout dans les couloirs…
« J’aimerais que mon beau pays de France soit exemplaire sur la question et je regrette que la crise n’occulte cette préoccupation », a conclu Michel Rocard, qui invite la société civile à se mobiliser sur ces questions. Le temps qu’une majorité de nations s’accordent à abandonner leur souveraineté au profit de décisions collectives et responsables, et de donner à cette zone fragile le cadre juridique international protecteur qu’elle mérite.